Christian Saint-Etienne "Les voies tracées par le Grand Paris restent les bonnes"
JDD.fr
Christian Saint-Étienne, économiste au Conservatoire national des arts et métiers, analyse pour le JDD le plan du gouvernement pour les infrastructures de demain.
Dans votre dernier livre*, vous tracez une stratégie pour la France de demain. Le XXIe siècle sera-t-il celui des mobilités?
Sans aucun doute, tant sur le plan physique que numérique. La France jouit encore d’un niveau d’équipements correct, mais ses investissements sont vieux de trente ans. Or le grand enjeu des années à venir sera la métropolisation. Partout, la population s’urbanise. La Chine va devoir construire des villes pour 300 millions de personnes au cours des vingt prochaines années, car c’est un élément clé de l’élévation du niveau de vie. L’économie de l’innovation pousse aussi à une concentration des acteurs (chercheurs, entrepreneurs…). Cette densification des agglomérations a aussi un effet sur la productivité des entreprises. La métropole de demain devra offrir un haut niveau de qualité de vie et cela passe par une mobilité et une interconnectivité totales. Il faut repenser nos villes en Grand Paris, Grand Lyon ou Grand Grenoble, capables de rivaliser avec un Grand Londres et un Grand Berlin. Stockholm a pris dix ans d’avance sur nous sur ce plan. C’est la vitrine du futur.
Comment se déplacera-t-on dans ces métropoles?
Comme aujourd’hui, mais à partir d’infrastructures et de moyens de transport plus intelligents et plus rapides. Les autoroutes de demain seront des axes à valeur ajoutée avec des péages automatiques et des capteurs qui calculeront le prix du passage de minute en minute en fonction du trafic. Nos gares seront des points à partir desquels on pourra compléter un déplacement en voiture électrique ou par tout autre moyen de transport grâce à un téléphone intelligent qui programmera notre circuit. Nos déplacements seront optimisés et plus propres grâce aux voitures électriques ou plus économes en énergie. Mais 80% de nos déplacements se feront toujours en transport privé.
Le Grand Paris de Nicolas Sarkozy misait sur le tout TGV et un budget de 245 milliards d’euros. Reste-t-il pertinent?
Certaines lignes de TGV n’ont pas grand sens, comme un Paris–Clermont-Ferrand. En revanche, les lignes existantes peuvent être améliorées pour réaliser des gains de temps avec des investissements beaucoup plus réduits. Sur les 28.000 km de voies ferrées en France, 15 000 comptent vraiment. Réseau Ferré de France a engagé un programme en ce sens. Pour gagner en vitesse sur ces lignes, il faudrait passer de 2 milliards à 3,5 milliards d’investissement par an. Mais ce n’est qu’un aspect. Les voies tracées par le Grand Paris restent les bonnes. Et pour cela, il faut un État stratège et un plan d’investissement conséquent de 250 milliards d’euros sur quinze à dix-sept ans. C’est beaucoup d’argent mais c’est finançable. Nous allouons chaque année 1.150 milliards à nos dépenses publiques, dont 670 milliards au titre de la protection sociale. On pourrait flécher une partie de ces sommes vers ces investissements qui créent des richesses.
La mobilité n’est-elle pas un des moteurs de la croissance économique?
C’est indéniable. Plus nous serons mobiles, plus nous créerons de richesses à travers la multiplication des échanges. La région francilienne produit 29% des richesses nationales et 22% de ses revenus, même si cette réalité n’est pas reconnue politiquement. La France a deux moteurs économiques naturels, le Grand Paris et le Grand Lyon-Grenoble. C’est la vraie colonne vertébrale du pays, la manivelle qu’il faut tourner pour faire repartir la France.
* France : état d’urgence. Une stratégie pour demain, Odile Jacob