Grand Paris : sept manques de réflexion
Par LAURENT CHALARD Géographe, European Centre for International Affairs
Au Conseil des ministres du 10 avril, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a fait part de sa volonté de mettre en place trois projets de loi de décentralisation, dont le premier, examiné au Parlement au printemps, concerne l’organisation institutionnelle des grandes agglomérations.
La mise en place d’une «Métropole de Paris», annoncée début mars, s’inscrit dans ce cadre législatif avec pour objectif de relancer une réflexion globale sur la question du Grand Paris, qui ne se limite pas uniquement aux transports. Cette initiative apparaît la bienvenue, étant donné l’importance de l’enjeu pour le devenir de la France. En effet, dans un monde globalisé de plus en plus concurrentiel, la présence d’une «ville globale» sur le territoire français demeure un atout indéniable pour l’économie nationale. Cependant, pour que le Grand Paris soit une réussite, sept problèmes sont à résoudre, sept péchés qui expliquent pourquoi la réflexion engagée sous la présidence de Nicolas Sarkozy s’est terminée par un flop retentissant, même s’il n’est pas de bon ton de le dire.
Le premier péché concerne l’âge des experts consultés. La région Ile-de-France se présente comme la plus jeune de France, avec une moyenne d’âge de 36,7 ans en 2007. Pourtant, les experts qui ont réfléchi sur le Grand Paris étaient en grande partie sexagénaires, voire plus âgés, augurant mal d’une connaissance adéquate des dynamiques de la métropole actuelle. La métropole doit être construite par ceux qui la vivent et qui ont une capacité à se projeter dans le futur.
Le deuxième péché porte sur la composition par sexe. La région Ile-de-France est la plus féminine de France (51,7 % de sa population est de sexe féminin en 2009). Or, les femmes sont absentes du débat, à quelques exceptions près. Leur rôle est primordial, d’autant qu’elles ont une sensibilité plus poussée concernant la qualité de l’urbanisme et de l’environnement, et accordent une importance primordiale à la sécurité, éléments bien souvent négligés par les vieux décideurs masculins. Leur plus grande mobilisation permettrait de rendre la ville plus belle et plus sûre.
Le troisième péché tient à la composition ethnique. La région Ile-de-France comprend de loin le plus grand nombre de personnes d’origine étrangère (dont plus de 2 millions d’immigrés en 2009), et leur pourcentage est appelé à croître dans le futur du fait d’une croissance naturelle plus vigoureuse que la population «autochtone» et de la poursuite de l’immigration internationale. Leur participation au débat ne doit pas se cantonner au thème «crise de la banlieue» mais au fonctionnement global de la métropole, dont elles sont parties prenantes, n’en déplaise à certains. La classe moyenne issue de l’immigration jouera un rôle économique croissant dans les prochaines décennies.
Le quatrième péché, le plus dramatique, est l’absence de consultation des Franciliens. Le Grand Paris reste une réflexion d’experts au mieux, de technocrates au pire, où l’avis du citoyen n’est pas pris sérieusement en compte. Il faudrait réaliser des référendums sur les grandes questions qui concernent tout un chacun et faire des études plus poussées concernant le point de vue de «l’homo grand parisianus» sur les principaux enjeux de sa vie quotidienne. Jusqu’ici, une micro-élite se contente de parler à sa place.
Le cinquième péché tient à la méconnaissance du terrain. Les milieux dirigeants sont essentiellement originaires de Paris intra-muros et de quelques banlieues chic de l’ouest parisien. Ils ne savent donc pas de quoi ils parlent. Leurs représentations des banlieues populaires et du mode de vie du «banlieusard moyen» ne sont pas en adéquation avec les réalités. Il paraît difficile de gérer un territoire quand on n’en connaît que la portion aisée !
Le sixième péché concerne l’incompréhension de la dynamique du capitalisme, conséquence de l’héritage d’une logique de planification technocratique. Le développement économique ne se décrète pas mais s’accompagne. Il ne s’agit pas de créer des zones privilégiées de croissance (comme le fameux plateau de Saclay ou la cité Descartes à Champs-sur-Marne) mais de mettre en place les facteurs permettant de la stimuler. Il est envisageable que de nouveaux pôles émergent à des endroits non planifiés par les décideurs politiques, le Val-de-Fontenay en constituant un exemple type.
Enfin, septième péché, qui n’en est pas un des moindres, l’esprit de clocher très français qui continue de prévaloir autant à gauche qu’à droite, empêchant toute réflexion globale non partisane. Chaque élu cherche à tirer le projet du Grand Paris vers son territoire et sa formation politique, phénomène accentué par la fragmentation communale extrême. Les quelques personnes ayant une vision globale de la métropole, s’appuyant sur une certaine objectivité, sont rares et guère écoutées. La plupart des chercheurs qui s’expriment sur le sujet apparaissent trop politisés, ce qui limite leur crédibilité.
Si le gouvernement de Jean-Marc Ayrault ne résout pas ces problèmes, la «métropole de Paris» restera un «grand machin», au risque de passer à côté du statut envié dans le monde de «ville globale». Le Grand Paris ne doit pas être laissé à des technocrates enfermés dans leur bulle et à des politiques prisonniers de leur territoire d’élection. «Le peuple», si ce mot garde encore un sens en 2013, a le devoir de s’exprimer et d’être écouté.
http://www.liberation.fr/societe/2013/04/22/grand-paris-sept-manques-de-reflexion_898091